Les deux frères et la magicienne

 

 

Mohamed et Sidi Ahmed étaient deux grands chasseurs. Ils nourrissaient leur famille, qui se composait du père, de la mère et de deux sœurs, des produits de leur chasse. Ils n’avaient pour tout bien qu’un âne et deux bons fusils. L’âne servait pour les déplacements de la famille et les fusils d’armes de chasse. Mais il arriva qu’une famine frappe la famille. La campagne devint donc invivable. Les deux frères décidèrent alors d’emmener la famille vivre à proximité d’une ville. Chaque jour, ils partaient en chasse, tuaient beaucoup de gibiers puis vendaient leurs produits au marché de la ville. Ils devinrent des chasseurs de renommée capables de tuer biches, antilopes, daims, cerfs et d’approvisionner la ville entière en produits de la chasse. Ainsi devinrent-ils rapidement très riches. Leur cheptel augmenta et se diversifia.

Une vieille sorcière réunit les habitants de la ville et leur dit :

-N’avez-vous pas vu ces deux messieurs qui se sont installés aux abords de notre ville, il y a peu de temps pauvres, et qui sont devenus, en si peu de temps, très riches ?

-Mais qu’est-ce que ça peut nous faire ?

-S’ils continuent à ce rythme ils deviendront bientôt vos maîtres.

Les habitants décidèrent alors de donner à la sorcière une chaîne et cent entraves qui valent, chacune, une vache laitière de couleur rousse, et de lui demander d’aller se servir de sa magie pour combattre ces messieurs. Elle reçut la chaîne, les entraves puis partit, bien décidée à se débarrasser des deux hommes. Pendant la nuit, elle alla chercher des informations sur les déplacements des deux chasseurs, puis sur leur programme du lendemain. Elle les entendit discuter, elle s’approcha d’eux discrètement. Mohamed disait alors à Sidi Ahmed :

-Demain, j’irai du côté de l’oued où j’ai vu l’autre jour une bande de gazelles. Si je réussis à les rattraper avant l’aube ma chasse sera bonne, surtout que, dans les parages, il y a un baobab dénudé sur lequel je peux me cacher et attendre. Quant à toi tu iras du côté de la forêt où les biches prolifèrent.

La vieille avait tout entendu. Avant l’aube, elle se transforma en chacal, arriva au baobab, avala les entraves, se saisit de la chaîne et attendit. Mohamed arriva au lieu-dit et monta sur le baobab. Il ne s’aperçut pas de la présence de la sorcière. Au lever du soleil, les gazelles affluèrent de toute part. Il visa, le coup partit, une grosse gazelle tomba, probablement le chef de file. Un second coup, puis un troisième puis un quatrième, à chaque fois une gazelle tombait. La femme­chacal tend alors son museau vers l’homme et lui dit :

-Arrête, tu ne vois pas que tu as déjà tué beaucoup de gazelles. Qu’est-ce que tu laisses aux autres chasseurs ?

-Au nom de Dieu le clément le miséricordieux, qu’est-ce que j’entends ? Un chacal qui parle !

-Bien sûr que je parle, et je vais te montrer encore des choses plus bizarres.

-Ne cherche pas à m’intimider, je suis courageux, grand athlète, tireur d’élite, et tu as vu comment je sais viser, ma position inconfortable ne m’a point empêché d’atteindre avec précision mon but et mon fusil est chargé de plomb. La vieille lui montra sa clavicule et lui dit : tire ici. Il tira mais la balle passa sans laisser la moindre égratignure. Il tira un second coup, puis un troisième, puis un quatrième, mais aucune de ses balles ne causa la plus petite blessure à la femme­chacal.

-Est-ce que tu as terminé toutes tes balles, lui demanda­t­elle ?

-Oui, répondit-il. La sorcière saisit alors la chaîne l’enroula autour du cou du chasseur et le pendit aux branches du baobab.

Sidi Ahmed entendit les coups de feu de son frère et se dit :

- Mon frère est un chasseur d’élite, si toutes ces balles ont atteint leur objectif c’est que nous n’aurons plus besoin de viande pendant au moins une semaine et si ce n’est pas le cas c’est que mon frère a de graves problèmes.

Sidi Ahmed s’empressa alors d’aller sur les lieux s’informer des faits. Il se dirigea du côté d’où les coups étaient partis et arriva à proximité. Il vit alors son frère pendu et un chacal qui tirait sur la corde pour le tuer. Sidi Ahmed épaula son fusil et visa. La femme­ chacal se mit alors à ricaner :

-Crois-tu être plus brave que ton frère Et bien avance.

-Elle a raison se dit-il, mon frère est bon tireur et s’il ne l’a pas tuée c’est que le plomb ne traverse pas son corps, essayons donc autre chose. Il déposa son fusil, tira son couteau, empoigna la vieille, la terrassa, déchira ses habits du côté du cœur puis enfonça son couteau. La vieille se mit alors à le supplier :

- Ne me tue pas, et je ferai de vous les hommes les plus riches et les plus respectés de la ville.

Sidi Ahmed rengaina le couteau.

-Parle, lui dit­il, et surtout n’essaie pas de me mentir car je serai impitoyable.

-Prenez cette chaîne, elle renferme une amulette qui vous donnera pouvoir et prestige et ces cent entraves qui valent, chacune, une vache laitière de couleur rousse.

-En es-tu sûr lui demanda­t­il ?

-Oui, je suis sûre, répondit la vieille.

Sidi Ahmed l’égorgea, l’éventra et lui retira la chaîne qu’ils gardèrent jalousement. Ils furent dorénavant en sécurité grâce au pouvoir magique de cette chaîne. Et nos deux chasseurs vécurent désormais en ville, riches et respectés. Seuls, quelques jaloux continuaient encore à leur en vouloir.

 

 

 

[1] Source : Tidjigja (Tagant).