L’Auteur et ses personnages
C’était en juillet 2036, par une belle nuit sans lune. Un concert de grillons montait du jardin, ambiance sonore de la nuit. Un hibou, qui a dû avaler de travers son mulot, lança un hululement étouffé, un autre lui répondit en poussant un cri doux et musical. J’étais restée seule dans la maison de campagne de mes parents, où j’étais venue en début de weekend avec un groupe d’amis. La maison résonnait encore du rire de mes copains, tous rentrés ce matin. Je me trouvais dans la cuisine. Brusquement, je fus inondée par une forte lumière, semblant venir d'une source située au-dessus de la maison. Un silence total régna. Inquiète, je sortis en courant voir ce que c’était. J’eus la chienne et lâchais un "ouac" : un immense cylindre, noyé dans ses lumières, descendait sur le champ voisin. Arrivé à environ un mètre au-dessus du sol il s’immobilisa et resta suspendu entre ciel et terre. Un géant en sortit, fit un bond sans toucher le sol et se retrouva en face de moi. Ses grands yeux, brillants et limpides, me jetèrent un regard chargé d’étincelles qui me figea sur place. J’étais en face d’un humanoïde d’une beauté extraordinaire, qui mesurait au moins trois mètres. «Viarge, qu’il est beau ! » Son visage serein ne portait aucun signe de fatigue, sa chevelure blonde tombait sur ses épaules. Il portait une combinaison grise scintillante, serrée à la taille par une large ceinture parsemée de points lumineux de différentes couleurs. Il pointa vers moi un objet qu’il tenait dans sa main. Je me retrouvai à l’intérieur d’une bulle, entre des murs courbes et transparents et quel ne fut mon effroi quand, m’appuyant sur la paroi, je vis mes mains s’y engloutir. Je voyais dans une perspective lointaine d’autres géants. Ils se déplaçaient à l’aise, sans toucher le sol. «Comment ont-ils réussi à arriver jusqu’ici sans être interceptés par les chasseurs de l’armée ? »
Le géant qui était descendu réapparut et s’approcha de moi. Il souriait, une profonde sérénité semblait l’habiter. En sa présence, j’étais redevenue comme une petite fille. J’étais plongée dans un océan d’amour et de joie.
« Notre vaisseau peut se rendre invisible et les radars ne peuvent pas le détecter.»
« Tiens, comme c’est bizarre ! Il lit mes pensées et me transmet les siennes, sans avoir besoin de parler ! »
« Nous n’avons pas besoin de la parole, nous maîtrisons les ondes de la pensée. Je m’appelle Moldak, je suis un humain comme toi, mais je viens d’une époque éloignée, je suis un habitant de ton futur. Je vis dans une ère dont l’avènement a eu lieu longtemps après la fin de la vôtre. Nous revenons dans le passé, dans votre présent, pour modifier le cours de l’Histoire. »
« Pourquoi me tenez-vous prisonnière dans votre foutue bulle ? »
« Rassure-toi ! Nous ne sommes pas de ces aliens prédateurs qui viennent parfois visiter votre planète. Mais nous devons te décontaminer. Je suis chargé de te contacter. Nous t’avons choisie pour te confier une mission de la plus haute importance. Nous savons que tu tiens comme nous à la sauvegarde de la langue française… »
« C'est une crisse de folie ! Comment des extraterrestres peuvent-ils s’intéresser à la sauvegarde de la langue française ? »
« N’en sois pas si étonnée. Nos ancêtres étaient des Canadiens français ; ils avaient émigré du Canada quand ils avaient senti que leur communauté était en voie d’extinction… Je suis un membre de la société NT (Les Nostalgiques de la Terre) qui agit sur le passé pour empêcher cela… »
« Arrête donc de chouenner ! L’histoire n’a jamais mentionné un tel événement ! »
« C’était il y a longtemps. La première migration avait eu lieu en 2050 de votre ère… »
« Il y a longtemps… En 2050 ? »
« Oui, par rapport à nous… »
« Et où sont-ils allés vos ancêtres, les premiers migrants ? »
« Leurs vaisseaux avaient erré longtemps d’une galaxie à l’autre, mais ils avaient fini par trouver une planète vierge. Ils la baptisèrent "Francophonie" et la colonisèrent… Mais ces événements sont tellement lointains que leur souvenir ne vit plus que par les mythes. Les résultats de nos campagnes de fouilles archéologiques ont montré que les écrivains sont en grande partie responsables de la situation qui a conduit à l’événement primordial. Ce qui nous a amenés à lancer notre programme PERSONNAGES, qui vise à maintenir le français dans sa place de langue d’écriture des écrivains québécois. Nous allons réincarner les personnages de leurs romans, pour les ramener sur le droit chemin de la francophonie ! Nous allons commencer par l’Auteur qui vient d’être consacré. Nous t’avons choisie comme Lectrice. Tu dois, avec ses personnages, le persuader de réécrire son roman en français… »
« Comment pouvez-vous réincarner les personnages des romans, alors que ce ne sont que des êtres numérisés sans consistance, vivant pour l’éternité leur existence virtuelle ? »
« C’est le cas à cause des lois propres à votre espace-temps. Mais dans notre dimension, toute fiction peut se réaliser. Les personnages que les auteurs enfermaient dans le domaine de la métaphore, du jeu de l’écriture, se réincarneront dans des corps pour devenir des entités réelles. Ils vivront d’une vie que tu ne soupçonnais pas. Tu verras comment ils seront proprement débogués et comment ils parleront tous - et avec l’accent québécois s’il te plait ! - la langue de Molière. Le Réincarnateur téléchargera le roman à partir de ta mémoire…»
« C’est qui le Réincarnateur ? »
« C’est notre super robot, une machine intelligente qui transfère les personnages du monde du roman au monde réel, en fabricant leurs avatars. Les personnages seront réincarnés dans des robots humanoïdes, des êtres vivants artificiels, produits à partir de cellules synthétiques biomimétiques, reprogrammées au niveau moléculaire. Les avatars seront dotés de pouvoirs extra-sensoriels et ignoreront la maladie et le vieillissement. Ils seront des sosies computationnels, avec un corps qui reproduit les traits du personnage et un cerveau qui encode ses caractères et génère une conscience biologique artificielle, hors de toute contrainte organique. Il y aura les personnages qui viennent du monde du roman, dont les portraits et les caractères seront codés pour fabriquer les avatars correspondants et les autres qui s’incarneront dans des avatars extrapolés, des créatures de la machine, qui n’ont pas d’équivalents réels, qui ne correspondent pas à des personnages individuels, mais sont les incarnations de groupes, d’associations ou de partis qui ont joué un rôle dans le roman. Les avatars seront féminins ou masculins selon le sexe du personnage qu’ils incarnent, androgynes s’ils incarnent des groupes. Ils produiront leur propre énergie par photosynthèse et seront connectés au Réincarnateur qui les commandera et enregistrera tous leurs faits et gestes par le son et par l’image. Leur horloge biologique sera accélérée jusqu’à atteindre l’âge voulu, puis arrêtée pour la durée de leur vie, qui variera entre 15 et 45 jours… »
« Comment peuvent-ils avoir une vie aussi courte s’ils ne tombent jamais malades et s’ils ne vieillissent pas ? »
« Leur mort sera programmée. Au terme de leur durée de vie, ils se dématérialiseront définitivement. »
« Pourquoi leur longévité n’est-elle pas la même ? »
« Elle est fonction de leur rôle dans l’opération. Quand tu seras décontaminée, je te conduirai pour assister à la réincarnation.»
Le Réincarnateur, entouré de nombreuses machines, trônait au centre d’une vaste salle, aux murs tapissés d’écrans.
« Bienvenue, la Lectrice ! Je télécharge le roman et je lance l’impression des avatars. »
Des caméras filmaient l’opération en temps réel. Sur les écrans, on pouvait voir les avatars se former peu à peu, avant de sortir tour à tour, habillés comme dans le roman ou comme à leur époque. Un portier en images de synthèse sur un grand écran les annonçait :
«Le Général, le Député, FCC, FLP, l’Indépendantiste, FJC, FCS, le Président, l’Elue, le Jeune… »
« L'habilleuse va maintenant leur mettre les combinaisons…»
« Quelles combinaisons ? »
« Ce sont les vêtements qui les rendront invisibles aux regards curieux.»
Une porte coulissa sur un point du mur, révélant des étagères vides.
« Tu ne les vois pas, mais elles sont bien là. L’Auteur sera demain à Montréal, au Musée du livre francophone, pour une séance de dédicace. Tu vas l’enlever pour l’amener ici. Les personnages lui présenteront leur pétition. Tu auras à suivre la progression du manuscrit français. Tu prendras avec toi ton avatar… »
«Mon avatar ? »
«Oui, le Réincarnateur t’a simulée. Ton avatar sera une réplique de ta personne, elle aura un cerveau et une personnalité identiques aux tiens. Mais son corps corrigera les défauts du tien, il reproduira tes traits en les perfectionnant. Elle sera d’une beauté parfaite. Son corps aura la capacité de se remodeler. Elle sera une angélique blonde le lundi, une flamboyante rousse le mardi, une brune café au lait le mercredi, une châtaine dorée le jeudi, une brune au bronzage doré le vendredi, brune classique, noisette les dimanche et samedi ; bref : elle sera multiple et unique. Ton avatar sera tellement belle que personne ne pourra lui résister. Elle mènera l’Auteur par le bout du nez, tu verras. Je suivrai le déroulement de l’opération.»
« Quel sera notre moyen de contact ? »
« Nos cerveaux resteront connectés, je continuerai à lire vos pensées et je vous transmettrai les miennes. Les avatars vont te suivre dans la maison pour attendre l’Auteur, quant à moi j’apparaîtrai régulièrement jusqu’à l’achèvement du manuscrit. Voici le texte de la pétition des personnages, tu auras à recueillir les signatures.»
Lorsque je me suis retrouvée dans la maison, entourée de mes hôtes, je fus étonnée de constater qu’à peine une heure s’était écoulée.
Le lendemain, je partis avec mon avatar chercher l’Auteur au musée. Nous montâmes dans l’aéromobile. M’étant rendue invisible je lui laissai le volant. Les couloirs aériens de la shareway 640 Est étaient fermés, mais la circulation resta fluide sur les huit voies. À la sortie de l’autoroute 15 Sud, mon avatar mit le véhicule en mode automatisé, dicta l’adresse du musée au GPS et se mit à lécher les vitrines des magasins Dix-30. On traversa le couloir aérien du boulevard Décarie, jusqu’à la rue Van Horne, pour prendre à droite et suivre Van Horne jusqu’au boulevard Cavendish. L’aéromobile se dirigea ensuite vers Cavendish Nord, arriva au n0 5851 et se gara dans le parking du musée.
Quand mon avatar fit son entrée dans le hall, spécialement aménagé pour la séance de dédicace, une clameur admirative s’éleva. Deux longues files étaient déjà formées, mais à son approche, les gens s’écartaient pour lui laisser le passage. Arrivée devant l’Auteur, elle se présenta ;
— Mlle Jocelyne Dion, membre du Club Ducharme des lectrices francophones !
Et pendant que l’Auteur, de sa main tremblante d’émotion, dirigeait vers son front son stylo laser, tentant de dessiner la figure compliquée de sa signature, elle lui enjoignit de sa voix merveilleuse, pleine de sous-entendus :
— Suivez-moi !
Il la suivit dans le parking et quand ils montèrent, j’appuyai le canon de mon arme sur sa nuque :
— Reste où tu es, laisse-toi conduire !
— Fais attention à toi, l’Auteur ! Lui dit l’ange au volant. Tu as l’arme de la Lectrice francophone sur ta nuque. Je te préviens, elle a la gâchette facile et t’en veut à mort pour lui avoir choisi les lectrices anglophones !
Arrivés sur le seuil de la porte de la pièce où attendaient les avatars, je criai à leur adresse :
— L’Auteur ! Bas les combinaisons, alignez-vous pour les présentations…
— Présentations…?
— Entre donc, tu verras par toi-même ! Je te présente tes personnages. Serrez la main à votre auteur, c’est une occasion qui ne se présente pas tous les jours ! Le Général, le Député, FLP …
— Qui est cet énergumène ? Il n’y a personne de ce nom dans mon roman…
— C’est l’avatar qui incarne l'aile radicale qui a quitté le Rassemblement pour l'indépendance nationale et fondé le Front de libération populaire. L’Indépendantiste, FJC, FCS, le Président, l’Elue, le Jeune, FTQ, FSN, UCC, CVFA, AEQ, CIIQ, ACELF, CEE et enfin notre merveilleuse petite dernière, mon avatar. Mon Général, veuillez lire devant l’Auteur la pétition que lui adressent ses personnages !
— A vos ordres ma Lectrice ! Nous, personnages de The revolution was not quiet, réunis en assemblée générale extraordinaire à Oka, dans le vaisseau des extraterrestres, exprimons notre attachement à la langue française et engageons l’Auteur à s’atteler immédiatement à la réécriture du roman en français et à renoncer à son choix de la langue anglaise comme langue d’écriture. Oka, le 30/07/2036. Vive le Québec libre !
J’ajoutai :
— Tu es désormais en résidence d’écriture. Tu as un mois pour réécrire le roman en français ! Ah le veinard ! Avoir cette vue imprenable du parc d'Oka, tu ne manqueras pas d’inspiration ici...
— Comment pouvez-vous avoir une vue du parc d’Oka alors qu’il n’existe plus depuis 10 ans ?
— Le verre des vitres est spécial, il conserve les vues longtemps après leur disparition. La maison était là avant que le parc ne soit déclassé… Quel écrivain ne rêverait pas d’avoir comme résidence d’écriture cette magnifique villa dotée de tout le confort et entourée de centaines d'arbres. Sacré type, va ! Inutile de penser à t’évader, si tu ne vois plus les avatars, sache pourtant qu’ils sont bien là et qu’ils t’ont à l’œil vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils n’ont pas eux nos contraintes organiques. En outre, le vaisseau des extraterrestres te surveille.
« Des avatars, des extraterrestres, pensa l’Auteur. Mais qu’est-ce qui m’arrive donc ? Calmos, calmos, remettons ce beau monde à sa place ! »
— Pour un complot, on peut dire que c’en est un ! Comment osez-vous m’adresser une pétition ? C’est inacceptable ! Vous vous arrogez des droits que vous n’avez pas ! Vous sortez de votre rôle et vous empiétez sur le mien ! Croyez-vous que vous pouvez me dessaisir de mes prérogatives ? Vous qui n’êtes que des êtres de papier vivant pour l’éternité leurs existences virtuelles entre les pages jaunies des livres ! Et d’ailleurs comment avez-vous réussi à vous échapper des pages du roman ?
— Traître à la langue française !
— Lectrice, laisse-moi le transformer en bouillie ! cria FLP d’une voix enragée.
— Du calme, du calme ! Pensez à la version française !
L’Auteur ne comprenait pas les raisons de cette révolte qui grondait dans les rangs de ses troupes. Il ne désarma pas, mais décida d’adopter un ton plus conciliant :
— Mes lectrices, mes personnages, souvenez-vous de ce que disait Roland Barthe : « Le vieux mythe biblique se retourne : le texte de plaisir, c’est Babel heureuse ! » Pourquoi voulez-vous me maintenir dans le ghetto des écrivains francophones ? Vous savez parfaitement qu’il n’est plus possible d’écrire en français au Canada. Les écrivains québécois qui comptent sont tous reconvertis aujourd’hui à l’anglais, tout le monde ayant compris que c’est la langue d’écriture des bons livres. Et d’ailleurs Proust n’a-t-il pas dit que « les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. » C’est en anglais que les écrivains québécois peuvent réussir leurs carrières. Et puis, de toute façon, les statuts de l’Union des écrivains stipulent que tout auteur qui revient à l’écriture en français s’expose à l’exclusion. Si vous tenez tant à la version française, pourquoi ne pas recourir aux services d’un traducteur, je suis même disposé à payer la facture…
— Non, pas question ! Tu dois revenir à l’écriture en français.
— Notre magnifique langue française doit continuer à briller dans nos livres !
L’Auteur, qui a fini par se résoudre à réécrire le roman en français, m’annonça :
— Je vais commencer par un avant-propos et un prologue qui ne figurent pas dans le texte anglais.
— Est-ce utile ?
— Oui, je pense. Je vais raconter aux lecteurs francophones comment j’ai appris la sélection de mon roman plusieurs mois avant l’annonce officielle et comment j’ai reçu la pétition des personnages. Je parlerai aussi de certains aspects concernant l’auto traduction et le bilinguisme d’écriture…
— Tu as raison, ce sera un plus pour la version française. Au fait, de quoi parles-tu dans ton roman ? Je le récite maintenant par cœur, mais je n’en comprends pas un seul mot !
— Comment cela ? Une Québécoise qui n’est pas bilingue ! N’as-tu pas été rééduquée ?
— Non, j’ai objecté !
La révolution n’a pas été tranquille
Avant-propos
La révolution n’a pas été tranquille fut d’abord écrit en anglais, pour lequel j’avais opté comme seule langue d’écriture. Mais, à la suite de ma consécration comme écrivain anglophone, la Lectrice et les personnages m’ont demandé de réécrire le roman en français. Mon choix de l’anglais comme langue d’écriture a été dicté par le recul du lectorat francophone. Désormais, j’écrirai tous mes romans en anglais d’abord, pour ensuite les réécrire en français.
Mon écriture bilingue sera donc écriture en langue étrangère seconde, l’anglais, première langue d’écriture, puis réécriture du texte en français, langue maternelle, deuxième langue d’écriture et langue étrangère première, si l’on considère que la langue maternelle est la première langue étrangère qu’on apprend. En effet, que j’écrive en anglais ou en français, je me réfère toujours à un pré langage que je traduis et dont je tire la langue qui me permet d’exprimer ma pensée.
Prologue
Quand, ce matin-là, j’ouvris ma boite, je découvris ce mail inattendu :
"De : l’Auteur@moi-futur.org
À : l’Auteur @moi-passé.org
Objet: [RMF] Reading for all. 2036.
Date : Ma, 11 septembre 2035, 00 :38:21 +0010
Mid:32052187397560.GTC02@l’Auteur.nb833.futurMoipassé.net
Références:16170473692.98351.l’Auteur@mpbpk.com
Importance : Haute
Cher moi passé,
Je m’écris ce mail pour m’annoncer que mon roman The revolution was not quiet a été sélectionné parmi les cinq livres finalistes du prochain numéro de Reading for all. Je m’adresse mes plus chaleureuses félicitations. Depuis que je m’étais converti à l’écriture en anglais, mes succès en librairie étaient restés modestes. Le chiffre du tirage de mes romans n’a jamais dépassé la barre des 5000 exemplaires. Si mon roman est couronné, le tirage électronique pourra grimper jusqu’à atteindre le chiffre de 43.8 millions. Mais les francophones digéreront mal ce succès d’un écrivain québécois qui a renoncé à la langue française et réclameront la réécriture du roman dans la langue de Molière !"
« Comme c’est bizarre ! Comment mon éditeur ne m’a-t-il pas déjà annoncé la nouvelle ? »
— Allo, Marion, comment se fait-il que tu ne m’aies pas informé au sujet de Reading for all ?
— Qu’est-ce qu’il y a à propos de Reading for all ?
— N’ont-ils pas sélectionné mon roman ?
— Comment puis-je le savoir alors que les titres sélectionnés ne seront connus qu’en octobre ?
— Pourtant j’ai reçu ce matin un mail qui m’annonce la nouvelle…
— C’est certainement un hoax !
Mais quand l’annonce de l’émission tomba, elle donna raison à moi futur : "Du 10 au 14 mars 2036, CTVBooks présentera une édition anniversaire de l’émission Reading for all. La nouvelle formule de l’émission consiste à choisir un livre qui sera téléchargé dans les cerveaux de tous les Canadiens et monté en spectacle grandeur réelle. The revolution was not quiet, l’un des cinq livres finalistes, a été écrit par l’Auteur, un écrivain québécois reconverti à l’écriture en anglais. Les autres titres sélectionnés sont : Rain and snow de George Campbell, birds de Barbara Horwath, Avida de Paula Hagerman et love de Ronald Mullins. "
Au terme des éliminatoires, les jurés m’ont couronné. Le communiqué disait : "La structure narrative de The revolution was not quiet se distingue par son originalité. Le roman évoque une période cruciale de l’histoire du Canada, celle des années soixante où le nationalisme a connu un grand essor. C’est à cette époque que naît le Rassemblement pour l'indépendance nationale et que le Front de libération du Québec et l’Armée de libération du Québec exécutent leurs premiers attentats à la bombe. Durant sa visite à l’occasion de l’exposition de 1967, le général de Gaulle lance son célèbre "Vive le Québec libre". L’Auteur a choisi cette période pour en faire le point d'altération qui permet d’imaginer une Histoire alternative : le 28 novembre 1963, André Fontaine fonde le Front pour l’indépendance nationale qui remportera les élections législatives de 1966. Le 23 novembre 1967, les députés indépendantistes majoritaires à l’Assemblée votent une résolution convoquant les États généraux du Canada français. Suite à leur convocation par le Parlement, les États généraux se déplacent de la Place des Arts pour se réunir au siège de l’Assemblée. La nouvelle institution collégiale se fixe comme tâche la rédaction et l'adoption d'un texte fondamental d'organisation des pouvoirs publics du Québec, proclame l’autonomie interne de la province, dans un cadre de co-souveraineté et vote une série de lois garantissant les droits des Canadiens français. Il n’est pas nécessaire de disposer d'une culture historique trop grande pour pouvoir s’intéresser à ce récit."
Après la rédaction de l’avant-propos et du prologue, le manuscrit n’a pas beaucoup avancé et l’Auteur a commencé à faire preuve de mauvaise volonté. Les avatars se dématérialisaient l’un après l’autre.
Quand Moldak réapparut, mon avatar, les yeux inondés de larmes de joie, se jeta sur lui et se mit à escalader son corps, l’embrassant de partout, poussant des petits cris étouffés.
« C’est quoi les messages incompréhensibles que tu me transmettais ces derniers jours ? »
« Ce sont des poèmes d’amour à ta gloire... »
« Des poèmes d’amour ? »
« Oui, c’est pour te dire combien je t’aime ! Avez-vous des poètes à Francophonie ? »
« Non, mais les traditions orales parlent de créatures mythologiques appelées "poètes" qui avaient le pouvoir de transmuer le réel ? »…
Quand mon avatar laissa un peu de répit à Moldak, je lui fis part de mes observations sur l’Indépendantiste.
« Tu sais, il est vraiment bizarre, il n’est pas comme les autres avatars. J’ai commencé à me poser des questions à son sujet, quand l’autre jour il me prit la main et tomba à mes pieds en me suppliant : " Ô Lectrice ! Toi pour qui le roman n’a pas de secrets, dis-moi qui je suis. Que sais-tu de sûr au sujet du personnage que j’incarne ? Je cherche en vain la moindre certitude sur lui, mais quoi que j’examine tout se dissout dans la confusion et le doute !" Depuis je me suis mise à l’observer. Les avatars peuvent-ils éprouver des émotions ? »
« Quel genre d’émotions as-tu noté chez lui ? »
« Les mouvements de son visage, les trébuchements de sa voix expriment quelque chose comme l’amour. »
« Je vais le faire analyser par le Réincarnateur. »
Le rapport d’analyse de l’Indépendantiste a révélé l’infection du programme par le virus Amour et recommandé sa destruction et sa reconfiguration dans une version améliorée. Il fut dématérialisé et reconfiguré. La nouvelle version a repris les traits de l’ancienne, mais en corrigeant leurs défauts.
Quand Moldak me présenta le nouvel Indépendantiste, je capotai. J’eus la chair de poule et mon cœur battit la chamade. Je ressentis pour lui un amour fou.
«Ayoye ! Ma pauvre Lectrice. Que cela me fait mal ! Je crois malheureusement que tu as été contaminée par le virus qui l’infectait. Je te conseille de ne pas trop t’attacher à lui, il ne lui reste plus que deux semaines à vivre. »
« Moldak, je t’en supplie, ne me fais pas ça ! Je ne pourrai pas vivre sans lui ! »
« Le seul moyen de le sauver de son autodestruction programmée, c’est de le transférer dans le corps d’une personne du monde réel. Le Réincarnateur peut effectuer une simulation informatique complète de son état cérébral et l’implanter dans un autre cerveau. L’état conscient du programme survivra dans le corps biologique de la personne infiltrée et les deux cerveaux mentalement unifiés formeront une seule et même personne. »
« Comme on a l’Auteur sous la main, il est cette personne toute désignée ! »
« Le Réincarnateur va hacker son cerveau, sa propre conscience sera effacée et sa mémoire autobiographique remplacée par celle de l’Indépendantiste. À l’issue de l’opération, l’Auteur et son personnage auront fusionné dans une seule et même personne, le cerveau organique infiltré contiendra une copie parfaite du logiciel. L’Auteur ne se souviendra que de ce dont l’Indépendantiste aura fait l’expérience avant le transfert. »
« Qu’en sera-t-il des aspects oubliés du personnage, ses caractères que le Réincarnateur n’a pas repris dans la dernière version et du domaine d’oubli propre aux deux cerveaux ? »
« Rassure-toi ! L’oubli sera scanné et transféré avec les autres éléments du programme, de même qu’il sera préservé dans le cerveau infiltré. Les contenus de mémoire sont à la fois oubli et souvenir, ce sont des assemblées de neurones qui sont des états de vide. C’est leur activation, initiée par des stimulus extérieurs, qui mène à des états d'excitation neuronale permettant la remémoration du contenu de mémoire encodé dans les états de vide. L’identité personnelle nouvelle sera constituée à partir de tout le travail de souvenir et d’oubli du programme. »
« Est-ce que l’Indépendantiste restera conscient pendant le transfert ? »
« Il aura une sorte de conscience fragmentaire et fera des rêves de transition. Mais il ne saura pas si ces états mentaux ont été engendrés par son cerveau ou par celui de l’Auteur ou s’ils sont le fait de consciences intermédiaires engendrées par le processus de transfert. »
« Sera-t-il capable de prendre en charge le manuscrit ? »
« Il en sera bien capable ! Il sera un francophone monolingue et sera connecté au Nuage ; il pourra accéder à la totalité de ses données, quel que soit le format sémiotique de leur codification ou de leur présentation. Il sera un agent du cerveau global et pourra interagir de manière autonome avec l’info sphère où évoluent les consciences de toutes les personnes sur la Terre, les programmes des ordinateurs et les liens de communication qui les connectent ensemble.»
« Ne sera-t-il pas handicapé par son monolinguisme ? »
« Non, car son cerveau sera capable de traduire toutes les langues… »
« Mais n’as-tu pas dit qu’il sera monolingue ? »
« Oui, mais sa capacité de traduction sera inhérente à son acte de langage, son pré langage. La grammaire universelle dont il sera doté comprendra toutes les langues du monde ; et c’est dans cette multi langue inconsciente qu’il puisera pour exprimer sa pensée monolingue. Il sera une Académie française et un tribunal du franglais à lui tout seul. Il aura la capacité de former de nouveaux mots français pour traduire n’importe quelle expression de toute autre langue et trouvera les néologismes qu’il faut pour remplacer tous les anglicismes.»
Ce matin, pendant qu’on était encore enlacés, l’Indépendantiste devenu l’Auteur s’adressa à moi en ces termes :
— Que ta manière de raconter est agréable, gracieuse, savoureuse et douce ! Mais maintenant que je suis devenu l’Auteur, raconter ne t’est plus permis.
— Je me tais alors et je te cède la parole pour la suite du récit.
Ne faites donc pas cette mine déçue, chers lecteurs ! Vous verrez que tout ce qui a précédé n’est rien, comparé à ce que je vous raconterai.
Ayant pris en charge le manuscrit français, je demandai à Moldak de me faire visiter l’époque des années 60, pour m’inspirer.
« Le passé est passé et la fiction est fiction. Cependant si tu en fais une condition pour la réalisation du manuscrit rien ne nous coûte de prolonger un peu notre voyage temporel. Je peux te la faire visiter ce soir même… »
« Visiter une décennie en une soirée ! Moldak, te moques-tu de moi ? »
« En réalité, ce sera pour beaucoup moins que ça ! "Ce soir" n’est qu’un référentiel pour situer notre voyage dans le temps terrestre, alors que notre vaisseau voyage dans le temps en navigant dans l'hyperespace à une vitesse supraluminique. Sans cette vitesse, nous n’aurions pas pu visiter la Terre. »
« Et comment pourrai-je supporter un voyage à une telle vitesse ? »
« Tu seras dématérialisé durant le voyage, tu ne seras rematérialisé que quand on aura quitté l’hyperespace pour revenir en 2036. »
« Mais si je suis dématérialisé, je ne pourrai pas m’imprégner de la réalité, pour pouvoir donner un effet de réel à mon récit.»
« Rassure-toi, le Réincarnateur simulera dans ton cerveau une représentation grandeur nature de la réalité qu’on aura traversée. »
« Comment cela ? »
« Pour t’en faire une idée pense un peu à ce qui se passe pendant l’agonie… »
« Quand le mourant revoit instantanément tout le cours de sa vie passée ? »
« Oui, mais pour toi ce sera plus que cela. Ce ne sera pas seulement ta vie que tu reverras, si tu as réellement déjà existé, mais l’histoire de toute une époque. »
« S’il faut que je sois dématérialisé durant le voyage, autant vous laisser le faire à ma place ! »
« Ta présence est nécessaire. Ta dématérialisation, engendrée par la rencontre de la matière et l'antimatière de ton corps, produira un rayonnement électromagnétique. Si ce rayonnement n’a pas pénétré la réalité traversée, ton cerveau ne sera pas compatible avec le programme de simulation. »
Quand Moldak annonça aux Lectrices qu’il allait me prendre dans son vaisseau pour une virée dans le Québec des années 60, elles sautèrent à nos cous, du moins la Lectrice au mien, quant à son avatar, elle se mit à escalader le corps de Moldak. Elles versaient des larmes et se répandaient en lamentations :
« Prends-moi avec toi ! Je ne peux vivre sans toi ! »
« Je t’aime, je t’ai dans le sang ! Que tu sois sur Francophonie ou sur Terre ! »
« Calmez-vous, calmez-vous ! Nous serons de retour avant demain matin. »
À l’issue du voyage dans le passé, je dis à Moldak :
« Torrieux, j'comprends rien ! J’ai mon voyage ! C’est incroyable ! Mais quel affabulateur cet Auteur, je n’ai donc jamais existé et la révolution a bien été tranquille !
« André Fontaine a bien existé et la révolution n’a pas été tranquille, mais cela a eu lieu dans un autre passé, dans un autre univers… »
« Pourquoi nous n’y sommes pas allés ? »
« Ce n’est pas notre monde. Dans cet univers, les Canadiens français n’ont pas émigré et ont fini par être assimilés. Par contre, c’est la minorité anglophone menacée qui a émigré…»
« Hein ? Qu’est-ce que tu dis ? »
« Oui, cela s’est passé en 2070 de cette ère. Le Canada était devenu une province des États-Unis d’Amérique et d’Asie. L’anglais figurait dans l'Atlas des langues en danger dans le monde et les enfants ne l'apprenaient plus comme langue maternelle à la maison. Les anglophones ont choisi d’émigrer pour échapper à la voracité de la langue hégémonique. »
« Et où sont-ils allés ? »
« Ils ont colonisé une planète dans la Galaxie du Têtard… »
« Maintenant que le roman a été démenti par la réalité, je propose d’imaginer une nouvelle fiction. J’ai même déjà une idée du titre que je vais lui donner : L’Auteur et ses personnages.»
Quand le Général se dématérialisa, la Lectrice hissa un drapeau en berne, porta le deuil pour trois jours et envoya un message de condoléances à l’Ambassadeur de France. L'Ambassadeur transmit le message aux autorités canadiennes :
« L'Ambassade de France auprès du Canada présente ses compliments au Ministère des Relations extérieures des Affaires commerciales et du Développement durable et a l'honneur de l'informer du message suivant parvenu à l'Ambassade :
"À son Excellence Monsieur l'Ambassadeur de France au Canada,
En ces heures douloureuses, nous lectrices francophones, encore sous le choc de l’émotion causée par la dématérialisation de l’avatar dans lequel a été réincarné le général de Gaulle, exprimons notre immense chagrin et notre reconnaissance sans limites au Général pour son soutien à la lutte pour la souveraineté du Québec. Nous n’oublierons jamais son slogan, "Vive le Québec libre", lancé le 24 juillet 1967, du haut du balcon de l'hôtel de ville de Montréal. Tous les personnages du roman avaient leur patrie sous la main. De Gaulle, lui, rêvait d'un pays. Oka, le 19 août 2036. La Lectrice et son avatar."
La France condamne fermement la réincarnation du général de Gaulle et l’usurpation de son identité par une organisation de cybercriminels. La défense de l’image des défunts est un droit moral de la personnalité après son décès. La réincarnation de personnages historiques dans des avatars constitue une atteinte au respect dû à la mémoire des morts. Nous demandons aux Autorités canadiennes d’assurer l’intégrité de l’image du général de Gaulle et le respect de sa mémoire.
L'ambassade de France auprès du Canada saisit cette occasion pour renouveler au Ministère des Relations extérieures, des Affaires commerciales et du Développement durable les assurances de sa haute considération. Ottawa, le 21 août 2036 »
La gendarmerie finit par découvrir le lieu de détention de l’Auteur. Quand son convoi s’ébranla, Moldak sonna l’alerte.
« Au vaisseau, les avatars ! J’entends les sirènes des voitures de la gendarmerie, elles sont encore loin, mais leurs GPS indiquent notre emplacement. Toi, l’Auteur Indépendantiste reste avec la Lectrice ! Remets-moi le manuscrit, il sera en sécurité ! Voilà ce que tu vas raconter à la gendarmerie: tu vas leur dire que tu t’es caché ici parce que tu voulais t’extraire de ton milieu habituel pour pouvoir achever ton manuscrit et que tu as amené avec toi la Lectrice pour le saisir. »
Je suivais la progression de la gendarmerie :
« La maison est en vue !
— Envoyez les mini drones !
— Prenez sur la droite ! Sur la droite !
— En avant, venez avec moi !
— En position ! Maintenez votre position !
— Va voir quelles sont leurs conditions.
Un haut-parleur cracha :
— Rendez-vous ! Vous êtes encerclés ! Notre négociateur va entrer en contact avec vous, il est désarmé, ne tirez pas sur lui ! »
Quand le négociateur arriva, il trouva la Lectrice dans mes bras.
— Quossé tu crisse ? On pensait que tu étais pris en otage !
— Il n’y a personne ici à part moi et ma dulcinée !
— Chef, les preneurs d’otages se sont volatilisés !
— Qu’est-ce qui a bien pu vous faire croire qu’il s’agit d’une prise d’otages ?
— C’est la conclusion de notre enquête lancée à la suite de ta disparition.
— Détrompez-vous ! Je m’étais tout simplement extrait de mon milieu habituel pour pouvoir terminer l’écriture d’un manuscrit qui me tient à cœur.
— Montre-moi ton autorisation !
— Je n’ai pas eu le temps de faire les formalités…
— Tu es donc en situation irrégulière ! En avant ! Suivez-moi ! Fouillez toute la maison !
— Comment ça, "fouillez la maison" ? Où est votre mandat ?
— Mon mandat est mon visage ! Et qui est cette jeune femme ?
— C’est ma dulcinée, ma muse et ma lectrice fidèle. Je l’ai prise avec moi pour me tenir compagnie et saisir le manuscrit français.
— Mais tu as bien dit : "le manuscrit français" ? Embarquez-moi ces francophones !
— Vous n’avez pas le droit de nous emmener, nous sommes Canadiens !
Le chef du commando sortit son arme et appuya le canon sur ma tempe.
— Maintenant, je te donne dix secondes ! Où est le manuscrit français ?
— Non ! Ne tirez pas ! Il était avec moi, mais quand l’Extraterrestre a senti votre arrivée, il s’en est saisi et a disparu avec ses avatars !
— Servez-vous d’elle !
— Laissez-là ! Je vous jure, j’ai dit la vérité, il l’a emporté !
La dulcinée, maintenant plaquée au sol par une armoire à glace qui lui tordait le bras, pleurait et criait en se débattant.
— Ah ! L’Auteur, au secours !
— Noooooon ! Ma dulcinée ! Ne touchez pas à ma Lectrice !
— Il nous faut la vérité, tu parles ou on la descend ! Encore sept secondes !
Dans les locaux de la gendarmerie, je pus suivre à la télé un reportage sur mon arrestation. Ma photo s’affichait à côté de celle de la Lectrice :
— La Gendarmerie est intervenue ce soir à Oka. L’opération visait à libérer l’Auteur, disparu depuis plusieurs semaines. Les maisons voisines ont été évacuées et un périmètre de sécurité a été mis en place. Les rues alentour ont été fermées à la circulation. Mais lorsque les unités d’élite ont pénétré dans la maison, elles sont tombées sur l’Auteur qui tenait une jeune femme dans ses bras. La prise d’otages semble avoir été, il s’agit plutôt d’un délit de francophonie. L’Auteur et la jeune femme ont été écroués. Personne n'a été blessé dans l’intervention, a indiqué le porte-parole de la police.
Le soir même de mon arrestation, je reçus la visite de deux inconnues qui prétendaient être ma mère et mon épouse. Elles tentaient de m’embrasser, mais je les repoussais avec force, je leur répétais :
— Écartez-vous de moi ! Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous me voulez ? Je ne suis pas celui que vous croyez, je suis l’Indépendantiste, avatar d’André Fontaine, Président d’un Front pour l’indépendance nationale, qui a existé dans un autre univers !
Quand je disais cela, elles se mettaient à pleurer. Elles continuaient à venir régulièrement malgré mes protestations et mes plaintes à la Gendarmerie. Une autre femme se présenta. Elle était en larmes et disait :
— Ah, l’Auteur ! Veux-tu me ruiner ? Comment as-tu pu te compromettre après ton succès anglophone ?
Moldak entra en contact avec moi et me dit que ma connexion restait active.
« Ton néocortex reste connecté au néocortex virtuel de l’info sphère. Tu peux accéder à n’importe quel domaine du cerveau global, juste en y pensant. Reste en contact avec la Lectrice, ne craignez pas d’être pistés, les transmissions quantiques entre vos cerveaux vous assurent une confidentialité totale. »
Je fus soumis à un interrogatoire intensif. La Lectrice avoua avoir envoyé le mail et donna des informations détaillées sur moi et sur le projet Personnages. Un service de protection des écrivains fut créé au sein de la GRC. L’armée et les services de sécurité furent mis en alerte et lancés aux trousses du vaisseau fantôme.
Je fus inculpé de francophonie aggravée et placé en observation psychiatrique. Puis je reçus ce mail de moi futur :
"De : l’AuteurIndépendantiste@moi-futur.com
À : l’AuteurIndépendantiste@moi-passé.com
Objet : [FGL]. Le combat des livres.
Date : denebdi, 21 avamol 53, 03:73:17 +0237
Mid:30571YP3@l’AuteurIndépendantiste.mjr9.futurMoipassé.com
Références:537915829.15716.l’AuteurIndépendantiste@lhird.com
Importance : Haute
Cher moi passé,
Je m’envoie ce message pour m’annoncer que Le combat des livres, l’émission de Radio-Canada, arrêtée depuis des années, sera reprise par une radio pirate et diffusée à partir de la planète Francophonie, sur la fréquence 104,3 MHz. C’est la première fois que l’émission est consacrée à deux livres du même auteur, mon roman The revolution was not quiet, contre mon autre roman L’Auteur et ses personnages. Cette édition spéciale sera plus un combat des langues qu’un combat des livres. Les autorités fédérales digéreront mal ce succès d’un écrivain québécois revenu à la langue française. Elles tenteront de brouiller la transmission et feront tout pour m’obliger à réécrire le roman francophone dans la langue de Shakespeare !"
Fin