Le mont des vieux

 

 Il était une fois un village dont tous les vieillards étaient systématiquement abandonnés par leurs descendants, attachés au sommet d’une montagne isolée et fréquentée par les lions. Les personnes âgées demeuraient ainsi jusqu’à mourir de mort naturelle ou étaient dévorées par les lions. On appelait l’endroit en question « montagne des vieux ». Cette tradition prévalut pendant des générations et des générations. La dernière fois qu’elle fut suivie, ce fut lorsqu’un homme porta son père à la montagne pour l’attacher à un tronc d’arbre jusqu’à ce qu’il dépérisse ou qu’il soit dévoré par les lions.

L’homme était alors accompagné par son jeune fils car il était aussi de tradition dans le village que les hommes emmènent leur fils pour leur montrer comment traiter leurs parents lorsqu’ils deviendront très âgés.

Sur le chemin de la montagne, le soleil tapait très dur sur les trois individus. L’homme prit son turban et le déposa sur la tête de son enfant. Le vieil homme prit à son tour son turban et le mit sur la tête de son fils.

Ce dernier interrogea alors son père :

-Pourquoi as-tu mis ton turban sur ma tête ?

-Parce que je t’aime autant que toi tu aimes cet enfant. 

-Ton amour pour moi est à la mesure de mon amour pour cet enfant ? 

-Parfaitement mon fils.

L’homme s’en retourna alors avec son père et le fit rentrer à la faveur de la nuit au village afin que personne ne l’aperçoive. Il le cacha dans un coin de sa tente et prit grand soin de le dissimuler. Il ne sortit guère plus de chez lui de peur que les curieux ne remarquent la présence de son père. Quelques temps après, le village manqua d’eau et les chameaux souffrirent beaucoup de soif car l’année avait été très rude. L’homme s’adressa à son père dans l’espoir de trouver une solution à leur crise. Celui-ci lui demanda :

-Que reste-t-il de la progéniture de telle chamelle ?

-Une seule chamelle très âgée.

-Dès l’aube, libère les bêtes de leurs entraves et élance-toi sur leurs traces vers le nord. Sous la première branche verte dont s’approchera la vieille chamelle, tu creuseras un peu et là, tu trouveras une source ensevelie.

Après avoir mangé un peu de la branche, la vieille chamelle urina abondamment. L’homme creusa à cet endroit et découvrit des rocs qui dissimulaient une source d’eau. Il prit son seau, aménagea un déversoir et abreuva abondamment ses bêtes. Puis il recouvrit le puits et retourna vers les siens qui remarquèrent que ses bêtes s’étaient désaltérées. Ils s’attroupèrent donc autour de lui et l’interrogèrent sur son histoire.

-Je ne vous révèlerai rien, répondit-il, tant que vous ne m’aurez pas solennellement promis de ne pas me faire de mal, ni à moi ni à mon entourage.

Ils s’y engagèrent et il leur raconta qu’il n’avait pas eu le courage de livrer son père à une mort certaine sur la montagne des vieux en raison de la tendresse qu’il lui avait manifestée. Il leur expliqua aussi que, sans l’expérience de ce vieillard, il n’aurait jamais trouvé l’eau avec laquelle il avait abreuvé ses bêtes très mal en point. -Fais sortir ton père, lui répondirent-ils, nous ne lui ferons aucun mal. Puis ils conduisirent leurs troupeaux vers l’eau et depuis ce jour, ils n’amenèrent plus leurs vieillards sur la montagne des vieux.

 

 

 

[1] Source : El Vouj (Tagant)..